Réforme de la formation professionnelle : qu'est-ce que ça change vraiment pour vous ?

Réforme de la formation professionnelle : qu'est-ce que ça change vraiment pour vous ?

Muriel Pénicaud, ministre du Travail, a présenté les grands axes de la réforme de la formation professionnelle le lundi 5 mars 2018 ; voyons ce qu’il en ressort et ce qui va réellement changer pour vous.

Tout d’abord, il faut se rappeler que nous avons une loi, relativement ancienne (loi du 16 juillet 1971), qui a largement évolué au fil des nombreuses réformes lancées par les gouvernements successifs.

C’est aussi une loi très complexe, certains parlent d’usine à gaz, et ils n’ont pas foncièrement tort… tant par le nombre des dispositifs existants que par les mécanismes qui permettent de les mobiliser.

On se rend compte d’ailleurs que les salariés eux-mêmes sont très peu informés sur leur droit à la formation (car c’est un droit, rappelons-le). On doit souvent expliquer à nos interlocuteurs comment cela fonctionne et ce n’est pas toujours si simple à expliquer.

Analyse par Jean Gauthier, Responsable du département formation du groupe Serda

Un Big Bang, vraiment ?

La ministre, reprise par les médias, a parlé de Big bang pour qualifier cette réforme. Listons ce qui est annoncé dans le plan de réforme et analysons ce qui traduit de vrais changements.

Nous donnerons pour chaque annonce un indice sur l’échelle du Big bang (de 1 à 10) et nous essayerons de voir ce que cela change concrètement pour vous.

Une retouche sur le financement

Les entreprises ne cotiseront plus deux mais une seule taxe, pour un montant inchangé au barème actuel.

Indice sur l’échelle du Big bang : 0

Ce que ça change pour vous : à priori, rien du tout

 

Exit les OPCA !

D’accord, mais c’est quoi un OPCA(1) ? Pour faire simple, c’est un collecteur de branche (il récolte les taxes liées à la formation professionnelle), qui est géré de façon paritaire (syndicats salariaux et patronaux), et est chargé de redistribuer les fonds à travers différents dispositifs (plan de formation, alternance, CPF(2), CIF (3)…) mais surtout sur la base de leurs propre critères ! Ceux-ci sont fixés généralement en fonction des orientations et des besoins de la branche. Ainsi, certaines formations sont financées en priorité ou mieux remboursées que d’autres.

Indice sur l’échelle du Big bang : 8

Ceci constitue un très gros changement car on supprime un intermédiaire qui édicte ses règles et régule les dépenses. Les OPCA vont revenir à un rôle de conseil et d’accompagnement auprès des entreprises de leur branche.

C’est l’URSSAF qui reprendra le rôle de collecteur et qui transmettra les fonds  à la Caisse des Dépôts et Consignations. Tout cela sera chapeauté par une nouvelle agence nationale - nommée « France compétences » - qui aura pour rôle de réguler les tarifs, surveiller la qualité des organismes de formation et arbitrer les besoins en formation entre les branches ou les publics à former (on parle de péréquation).

Ce que ça change pour vous  : Vous pourrez, à priori, choisir plus librement les formations qui correspondent à votre projet de carrière ou vos besoins en compétences sans être bridés par des règles de financement de branche. Reste évidemment à attendre les nouvelles règles de financement. Chaque réforme apporte ses nouveautés mais aussi son lot de surprises…

 

Amazon formation sur mon smartphone ?

Une application sera créée pour que chaque bénéficiaire puisse rechercher, s’inscrire et même payer sa formation via une application !

Cette application devrait voir le jour courant 2019.

Indice sur l’échelle du Big Bang : 9

Ce serait la première fois que l’offre de formation globale serait accessible ainsi.

Il faut tout de même se demander si cette application sera exhaustive. En effet, il existe un nombre très importants d’organismes de formation sur le marché, qui proposent des thèmes de stage très variés, avec des services annexes ou des dispositifs plus élaborés (coaching, parcours, mix Learning..) : ceci demande un peu plus qu’un achat par simple clic.

Ce que ça change pour vous : cela coule de source ; plus d’intermédiaire et de longs processus de validation, c’est vous qui faites vos choix et dépensez vos crédits en fonction de vos objectifs de formation. Et puis, choisir et réserver sa formation dans le métro (ou sur la plage), ça a un côté sympa.

Par contre, rien n’est dit sur les échanges avec l’employeur (autorisation de partir en formation) et du coup, si ces formations pourront s’effectuer sur le temps de travail ou pas.

Idem pour les frais de déplacement.

Bref, redonner la main aux salariés est une excellente idée, mais soyons attentifs à sa mise en place et au dialogue dans l’entreprise.

 

Des sous à la place des heures !

Le droit à la formation sera désormais calculé en euros et non plus en heures !

Tous les salariés verront leur CPF crédité de 500 euros par an (plafonnés à 5.000 euros). Les personnes sans qualification seront mieux loties avec 800 euros, et un plafonnement à 8.000 euros.

Indice sur l’échelle du Big Bang : 10

Ça, c’est vraiment nouveau ! Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, nous savons (plus ou moins) qu’on dispose d’un certain nombre d’heures, mais en fonction des branches et du taux de financement horaires, finalement les budgets sont très disparates.

Exemple dans le système actuel : un cadre informatique, dont l’entreprise relève de la branche des sociétés de services Syntec, et se formant à des compétences très techniques, pourrait bénéficier d’un taux de 60 € de l’heure. Alors qu’une assistante administrative dans la grande distribution souhaitant se perfectionner dans la bureautique ne se verra crédité que de 9,15 € de l’heure. Donc pour un crédit de 100 heures, l’un aura un budget de 6000 € contre 915 € pour l’autre. Pas très équitable.

Qu’est-ce que ça change pour vous  : vous saurez désormais exactement combien vous pouvez dépenser, et repérer dans l’offre de formation des organismes pour choisir le stage adapté à vos attentes (et à votre budget) sera plus facile.

A noter que le taux de reconversion heures/euros n'a pas encore été arrêté pour les personnes disposant déjà d'un CPF. On peut aussi s’interroger sur les critères qui décideront de qui est suffisamment qualifié et qui ne l’est pas…

 

Autres nouveautés en vrac

Modification du Conseil en Evolution Professionnelle (CEP)

Il se verra alloué un budget spécifique (et conséquent : on parle de 200 à 300 millions d’euros) pour accompagner gratuitement toute personne qui le souhaite dans son parcours professionnel. Ceci sera géré par les régions, l’état et les partenaires sociaux.

On n’en sait pas beaucoup plus pour l’instant, mais déjà quasiment personne, ou presque, ne connaissait le CEP ; on peut donc se demander comment ces fonds vont être dépensés avec une gestion tripartite région/état/partenaires sociaux.

Formation dans les entreprises de moins de 50 salariés

Un système spécial sera mis en place, joliment appelé “ mutualisation asymétrique ”. Il s’agirait d’une part des cotisations versées par l'ensemble des entreprises, mais réservée uniquement au financement des formations pour les structures de moins de 50 salariés.

Là encore, on ne sait pas trop sur quels critères ces fonds seront alloués aux PME. C’est pour l’instant assez nébuleux.

 

En conclusion

Indice global de la réforme (sur la base des annonces du gouvernement) sur l’échelle du Big bang : 9

Les 3 points à retenir :

  • Remettre le salarié au cœur du système pour faire ses choix et gérer son budget individuel de formation, c’est inédit.
  • Transformer les heures en budget euros est aussi une révolution en soit, car cela donne une vraie visibilité à tous sur le budget qu’on peut individuellement mobiliser pour monter en compétences
  • Mettre en place une application est une bonne idée, et correspond aux nouvelles pratiques (mobilité, liberté, personnalisation…)

Pour finir, n’oublions pas que ce n’est qu’un projet de loi, les annonces seront précisées dans les prochaines semaines, il y aura un débat parlementaire, des amendements…i

Il faudra aussi beaucoup plus de précisions sur comment fonctionneront les différents critères d’accès à la formation ; réservation, paiement, …quid des heures déjà acquises en CPF ? quel rôle joue l’employeur ? comment les organismes de formation seront effectivement référencés et contrôlés sur l’application ?…autant d’inconnues qui commandent de rester prudent et d’attendre avant de définitivement se préparer au Big bang annoncé.

 

(1) OPCA : organisme paritaire collecteur agréé

(2) CPF : compte personnel de formation

(3) CIF : congé individuel de formation